jeudi 17 décembre 2009

Le camion – 2

Elle se lève, la tête comme un blizzard. Elle grelotte dans sa robe de chambre, se sert un verre d’eau, ne boit pas.

-Tu ne devrais pas écrire si tard, ça te gâche le sommeil.

Sa main gelée sur mon épaule.

-Et puis on part demain, la route sera glissante.
-On aurait dû choisir l’Espagne. Ici c’est trop froid, je dors mal.

L’eau fait siffler l’évier. Le verre ponctue :

-Ben moi, seule, j’ai froid.

En silence, la porte se referme. L’apparition de cette vieille femme me surprend toujours. Sans doute l’écriture m’entraîne-t-elle dans un autre temps, ou plutôt dans un temps sans temps. Je nous y conçois comme des prototypes de nous-mêmes, jeunes et sereins.

La voir ainsi, pesante et plissée de sommeil, me consterne. Je lui donne mon amour, sans doute, mais pas si vite, pas si vieux! Quelles étapes de ma vie ai-je sautées pour l’achever ici, ou devrais-je dire nulle part, en errance continuelle dans cette prison roulante? Je repense à cette photo, au bord d’une rivière, où elle tient son chapeau à deux mains, souriante, radieuse. Ses aisselles fuient sous ses cheveux. Puis, très vite, je range cette photo dans ma tête pour la garder intacte.

La lente et évidente destruction de ma mémoire me donne un vertige. Je n’arriverai plus à écrire ce soir.

vendredi 11 décembre 2009

Je tente ici un nouvel exercice : improviser un texte. Cette pratique comporte son lot d'écueils, mais je veux voir comment les personnages peuvent s'inventer au fil des mots.

...

Le camion - 1

Je ne me rappelle plus du jour où nous avons décidé de partir. Sans doute vaquions-nous dans cette maison, elle à s’occuper du ménage et moi des archives – je consacrais des heures obsédantes à l’organisation de nos traces : photos, lettres, cadeaux s’empilaient dans des boîtes en carton portant chacune un nom. Mariage. Espagne. 10 avril 1991. Je me rappelle parfaitement bien, toutefois, du 10 avril 1991. Ce jour-là, nos photos en témoignent, il faisait un temps radieux à Prague. Nous avions marché de longues heures, jusqu’au sommet de la colline royale. La fatigue nous égayait plus qu’il n’est convenable pour un couple de notre âge. Un jeune étudiant nous photographia en rougissant. Notre baiser continuait de rouler dans tous les sens. Il posa notre appareil sur le garde fou, puis disparut. Nous reste à présent cette image de nos corps enivrés, tordus au bord du vide, captée à l’instant où notre fils frappait le ciment du trottoir à Paris. Depuis ce jour, si dense qu’il combla plus tard une boîte d’archives, je n'accepte plus le mot défenestrer. Écraser évoque trop bien cette mort qui aspire au sol, s’y incruste.

Ce que je sais, c’est que nous avons décidé de partir d’un accord tacite. La vente de cette maison, notre maison, s’est réglée dans une absurde absence de douleur. Les boîtes y sont restées, perdues à jamais. Parfois, je dis à Françoise que j’ai perdu la mémoire, que je ne sais plus mon nom. Alors elle m’embrasse. Jusqu'à quand me contenterai-je de cette réponse ?

samedi 28 novembre 2009

les aises
que j'ai prises
ne s'en sont pas
plaint

dimanche 22 novembre 2009

on me visite comme un musée
on prend ma terre battue
pour du prélart

...

il y a ces reliques
mots-images-promesses
qui parlent
qui s'organisent

ne les regardez pas
tournez-vous
touchez-moi
je suis là où vous ne voulez pas me voir

...

L'homme se surprend à emprunter le sentier où, enfant, il jouait. Il reconnaît la disposition des arbres et des grillages. Sans avoir vraiment changé, ce coin de verdure a acquis un ordre calme, une politesse : il ne veut plus jouer.

...

je n'ai plus peur
c'est arrivé
j'ai tout à perdre et je le perds
lentement
chaque jour

mardi 17 novembre 2009

dans notre chambre-spectacle
j'ai mes habitudes
sérénades correctes
poliment applaudies

...

notre plaisir
a le teint mat
des planchers usés

...

je te caresse
comme on couche une flamme
brasier-tapis
où je m'essuie

...

nous voudrions arracher notre peau
brûler ce lit
qui nous a engraissés
de sueur et de matins huileux

...

tu n'aimes pas rester ici mais tu y restes
tu prophétises des bonheurs domptés
où je suis père-héros-dieu

mardi 3 novembre 2009

Bonjour chers pouets.
J'ai mis à jour mon blog bd avec des petites planches toutes simples.
Je compte d'ailleurs alimenter ce blog plus régulièrement dorénavant.

C'est là : www.maxouelsmart.blogspot.com

mercredi 30 septembre 2009

nous voulons savoir
comment ne plus vouloir
devoir vouloir
lourd
devoir
nous attendons
le coeur en rêve
la mort éternelle
je m'arrête
entre nous
j'allume
une cigarette
nous
étouffons
je respire


...


je crie du yogourt
ça motonne aux orées
ça coulisse aux jointures
des bulles roses
poussent en grappes à ma bouche
tu m'embrasses et tu dis ouache
t'es ben collant

mardi 15 septembre 2009

-J'ai trouvé ça dans une pile de vieux textes. C'était un journal. Je ne sais pas de quand ça date. Peut-être un, deux, trois ans. Je lui donne voix ici.

...

Ce n'est pas que je n'aime pas la vie. Il y a plein de choses vraiment bien, sans blague. Et puis, les gens qui disent ça - ne pas aimer la vie - ne le croient pas vraiment. Ils veulent de l'attention, c'est tout. Ou alors ils le croient mais ils changent vite d'idée, en prenant une marche ou quelque chose. Non, ce serait plutôt de la fatigue. Je suis fatigué. Même après une très belle journée, tu sais, tu veux aller dormir. Si on t'en empêche, alors tout commence à t'énerver. Les gens que tu aimes t'énervent. Le soleil t'énerve. Plus tu aimes les choses, plus elles t'énervent. J'aime la vie, sérieusement, mais plus ça va, plus elle m'énerve. Et ça ne s'améliore pas, ni rien, il n'y a pas de moment où j'arrive à me reposer. Je ne voudrais pas mourir, non. Mais parfois rien que d'y penser ça me donne l'impression de dormir, un peu.

lundi 7 septembre 2009

j'attends
de ne plus devoir
attendre

...

je meurs
comme un arbre pousse
vers sa cîme
je me pique des plumes
aux bras
cui cui aïe
alors que je me diluais dans la confection d'un horaire exhaustif de vie j'ai éternué
chute libre

jeudi 20 août 2009

si longtemps que
pareil
à tout vouloir de
trop

jeudi 30 juillet 2009

-24 juillet

m'ai perdu
m'ai cassé
trop voulu
rassayer

pas sommeil
pas réveil
trop tendu
dedans-là

m'ai pété
m'ai craqué
trop voulu
trop vouloir

vendredi 24 juillet 2009

j'aimerais ça
mourir
comme un chat
sous ton char

les pattes pognées
dans tes essieux fumants

rouler comme un tas
de peneu
à peneu

pis miauler
stie dsale vie chienne
en regardant
une dernière fois
ton pot
d'échappement
rétrécir

samedi 18 juillet 2009

le pire c'est
le matin

après
le mal est fait

Tu ne m'avais pas attendu. Aux premiers rayons, tu avais quitté la tente à la recherche d'une plage. Les côtes portugaises avaient ceci de particulier qu'elles coupaient net l'océan. Des crêtes vertigineuses dérobaient le sol sans prévenir, au détour d'un coup de vent.

Trop seul, j'ai combattu mon sommeil et suis parti à ta recherche dans la plaine herbeuse et sèche. En contrebas, j'ai aperçu une petite plage, lovée comme une anomalie entre les escarpements. Tu n'y serais pas. Je te devinais plus haut, dans le vide et le vent, là où l'horizon se coucherait sous tes pieds.

Ne te trouvant pas, j'ai longtemps erré parmi des sentiers vaguement défrichés. À cette falaise, je me suis arrêté. Elle était profonde comme un tunnel. C'est là que je t'ai vue, au creux des vagues lentes et sombres. Tu reposais seule, fracassée au bout du vide.

Je me suis vu pleurer, endeuillé à tout jamais par ta faute. J'ai bien pensé te rejoindre. Mais je suis resté debout, pétrifié par ta chute trop longue, trop dure.

Puis j'ai reculé. Me suis retourné. Devant moi, le bruissement éperdu des hautes herbes m'emplissait les poumons. Libre comme un insecte, je suis parti loin de tes noyades, parmi les foins craquants.

Léger, je suis rentré au camping. Tu m'attendais rongée d'inquiétude. Mon petit déjeuner avait refroidi sur le tapis de paille. Tu m'as regardé manger. Toi morte et moi vivant, jamais je ne t'avais trouvée si belle.

jeudi 16 juillet 2009

- perle de dictionnaire

bourdonnement, bruissement, bruit, chuinement, clameur, clapotis, clappement, claquement, cliquetis, crépitement, crissement, déflagration, détonation, froissement, frôlement, gargouillis, gazouillis, gémissement, glouglou, grésillement, grincement, grognement, grondement hululement, hurlement, murmure, pétarade, pétillement, râle, ronflement, sifflement, tintement, vagissement, vocifération.
Antonymes : silence
Quelque chose comme la vanité d'un continent a glissé sur mes wipers, entre chez ma blonde et le centre d'achats.

...


J'accélère d'un feu à l'autre, sur un des boulevards qui quadrillent, balafrent la terre de l'île. Il y a eu des arbres ici, me dis-je en remontant la vitre pour m'abriter du vent. Je sais qu'elle m'attend à la fenêtre. Me voyant, elle descendra du perron pour m'embrasser.

Un grand viaduc me suspend en travers d'une autoroute. Nous ne resterons pas dehors. Le ciel, trop haut, nous rend perplexes, nus. Dans sa cuisine, nous saurons parler. Je bifurque. Il commence à pleuvoir. La forêt que fut la ville m'entoure, me protège.

Au craquement du frein à main, elle court vers moi, un anorak sur la tête. Je reste au volant. J'aimerais qu'elle s'asseoie avec moi, mais elle s'arrête, le sourire trempé. Me fait signe.

Dans la cuisine, nous tenons nos verres d'eau ; dehors, il en pleut des litres que j'aurais bus à même son corps.

lundi 13 juillet 2009

-précarité

mon seul espoir est d'écrire que

mercredi 8 juillet 2009

serre
prends
touche
aide

moi
moi
moi
moi
je n'ai pas dormi
j'étais trop fatigué

tu m'avais laissé là

tremblant de peur de
te perdre

et te perdant
pourtant
de tout mon corps

le lendemain
j'étais encore malade
mais le soleil
non

jeudi 2 juillet 2009

t'as manqué
te noyer
la cigarette
au bain

les bières
criblaient
le carrelage
jauni
des chandelles

qui t'encerclaient
ô toi sirène
sans nageoire
qui chantais

tu te tus
quand je te vis
saoûle et nue
te débattant
entre deux eaux

je t'ai dit
je suis là
c'est moi
arrête

et te voyant pleurer
suspendue
entre une honte et une rage
je me suis senti
couler

bien assis entre les algues
j'ai levé la tête
vers toi

sirène en jambes
qui nageais trop mal
pour venir te noyer
avec moi

mardi 30 juin 2009

m'amarillante
j'habite
din bloc carré

oùsse
qui faut appareiller
les coeurs
comme des boats
pour loin d'icitte

sinon c'est toute nous autres
qu'on garroche
par la fenêtre

mon coeur chés pus
m'amarillante
oùsse qui décharge
son fret

peut-être
chez vous
peut-être
sous l'eau

asteure
sans coeur
je peux m'assire
din bloc carré
jusse à moé
pis écouter
le monde couler

t'en souviens-tu
tu pouvais pas l'entendre
le monde
chaque fois
tu manquais de couler
avec

comprends-moi
j'ai pas voulu te perdre
plus vite que je perds le monde

il faudra juste me laisser là
seul dans mon bloc
carré
sans issue
que j'écoute l'eau monter

pis si tu le trouves
garde-le
mon coeur
mon poisson