jeudi 17 décembre 2009

Le camion – 2

Elle se lève, la tête comme un blizzard. Elle grelotte dans sa robe de chambre, se sert un verre d’eau, ne boit pas.

-Tu ne devrais pas écrire si tard, ça te gâche le sommeil.

Sa main gelée sur mon épaule.

-Et puis on part demain, la route sera glissante.
-On aurait dû choisir l’Espagne. Ici c’est trop froid, je dors mal.

L’eau fait siffler l’évier. Le verre ponctue :

-Ben moi, seule, j’ai froid.

En silence, la porte se referme. L’apparition de cette vieille femme me surprend toujours. Sans doute l’écriture m’entraîne-t-elle dans un autre temps, ou plutôt dans un temps sans temps. Je nous y conçois comme des prototypes de nous-mêmes, jeunes et sereins.

La voir ainsi, pesante et plissée de sommeil, me consterne. Je lui donne mon amour, sans doute, mais pas si vite, pas si vieux! Quelles étapes de ma vie ai-je sautées pour l’achever ici, ou devrais-je dire nulle part, en errance continuelle dans cette prison roulante? Je repense à cette photo, au bord d’une rivière, où elle tient son chapeau à deux mains, souriante, radieuse. Ses aisselles fuient sous ses cheveux. Puis, très vite, je range cette photo dans ma tête pour la garder intacte.

La lente et évidente destruction de ma mémoire me donne un vertige. Je n’arriverai plus à écrire ce soir.

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